Directive sur les plastiques à usage unique : L’Europe doit protéger les océans en appliquant le principe pollueur-payeur aux déchets des réseaux d’eaux usées.

Le réseau d’acteurs, regroupant des individus et organisations de tous bords particulièrement actifs dans la prévention et la gestion des déchets abandonnés et des déchets marins adresse une lettre ouverte à la commission européenne. Nous exprimons nos vives préoccupations concernant le projet de lignes directrices de la directive sur les plastiques à usage unique dont nous avons récemment eu connaissance. Une nouvelle disposition non prévue par la directive SUP pourrait en effet permettre d’exempter les producteurs soumis à la REP des coûts de nettoyage des déchets plastiques tels que mégots, lingettes et emballages plastiques lorsque ces derniers aboutissent dans les réseaux d’eaux usées !

Publié le 09/04/2024 (mis à jour le 29/04/2024)

Face à l’ampleur de la pollution des milieux aquatiques par les déchets plastiques et notamment, les mégots et les emballages alimentaires, des mesures réglementaires ont vu le jour et permis de grandes avancées ces dernières années. L’une d’entre-elle, la directive européenne sur les plastiques à usage unique de 2021, entendait consacrer le principe du pollueur-payeur en obligeant les industriels à prendre en charge les coûts du nettoyage des déchets sauvages ainsi que les coûts de leur transport et traitement ultérieurs.

Le projet de « lignes directrices » sur l’application de la directive dans les différents États-membres est actuellement en négociation au sein de la commission européenne. Hélas, une nouvelle disposition non prévue par la directive SUP pourrait permettre d’exempter les producteurs soumis à la REP des coûts de nettoyage des déchets plastiques tels que mégots, lingettes et emballages plastiques lorsque ces derniers aboutissent dans les réseaux d’eaux usées !

Cette exemption est un retour en arrière qui aura pour effet de réduire l’incitation à la prévention de l’abandon de ces déchets et à leur prise en charge dans les réseaux d’eaux usées et pluviales avant qu’ils n’aboutissent dans les cours d’eau et la mer. C’est aussi un handicap majeur pour que les pays Européens mettent en place le principe du pollueur-payeur.

Enfin, c’est une méconnaissance de la réalité de ces déchets qui sont à l’origine des pollutions majeures des rivières, fleuves et des eaux marines[1]Des travaux récents montrent que les déchets en mer sont majoritairement issus des fleuves urbains[2] qui sont les récepteurs des eaux usées traitées et des eaux de pluies. C’est donc en permettant aux gestionnaires de retirer ces déchets dans les réseaux et de les prévenir qu’une partie du combat contre les déchets marins se gagne. A ce niveau, les déchets véhiculés dans les réseaux devraient d’ailleurs être quantifiés pour fournir un outil de surveillance de l’efficacité des mesures mises en œuvre (ex : opérations de nettoyage, réglementations de production (limitations ou produits alternatifs).

D’autant plus que les lingettes dans les systèmes de traitement d’eaux usées entrainent de graves dommages mécaniques dont les coûts importants sont endossés par les collectivités[3], coûts explicitement exclus du projet de lignes directrices à ce stade. Si ces guidelines sont validées, ce sont également les associations et bénévoles qui continueront de devoir prendre en charge ce fléau et gérer un enjeu d’intérêt général à la place des pouvoirs publics. 

Alors que la pollution plastique des océans devrait quadrupler d’ici 2050[4] et que toutes les dernières études[5] confirment la situation critique des rivières, des mers et des océans, ainsi que leur rôle de régulateur du climat, la commission européenne doit plus que jamais être à la hauteur afin de mettre les industriels face à leurs responsabilités. 

Exigeons des changements concrets et durables !

 

Notre analyse détaillée :

Depuis juillet 2021, la directive Européenne dite « SUP » (pour Single Use Plastic) interdit de mettre sur le marché un certain nombre d’items comme des pailles, des assiettes ou encore des couverts en plastique à usage unique au sein de l’Union Européenne. Cette directive a été traduite dans la loi Française au moyen de la loi Anti-Gaspillage Économie Circulaire [AGEC] avec un calendrier d’application précis[6] courant jusqu’à 2026. 

La directive comprend aussi une série de mesures concernant le recyclage et la sensibilisation des citoyens (promouvoir les habitudes de consommation responsable, marquage obligatoire sur certains produits concernant le recyclage) mais aussi la responsabilité des producteurs :

  • Elle pose le principe de l’obligation pour les producteurs de plastique à usage unique visés par la directive de couvrir « les coûts du nettoyage des déchets sauvages tout environnement confondu », sans exclusion d’aucune sorte.
  • Elle prévoit que les producteurs doivent couvrir également les coûts « du transport et du traitement ultérieurs de ces déchets sauvages ».
  • Elle prévoit que la Commission publiera « en concertation avec les États membres, des orientations en ce qui concerne les critères relatifs aux coûts du nettoyage des déchets sauvages ».

Nous avons eu connaissance du projet de guidelines sur l’application de la Directive européenne en cours de négociation au sein de la commission européenne, et nous souhaitons que la rédaction de ces guidelines permette de prendre correctement en charge le sujet des lingettes au stade du déchet abandonné, que ce soit au regard des principes de la Directive SUP, du principe pollueur-payeur, et des coûts à la charge des collectivités locales. 

Or, le projet de guidelines, dans son état actuel, apporte une disposition nouvelle, non prévue par la directive SUP, qui est d’exclure du champ de la responsabilité des producteurs les coûts de gestion (collecte, transport et traitement) des déchets sauvages récupérés dans les réseaux unitaires (notamment dans les dégrilleurs, les pompes de relevage, etc.) ou les réseaux d’eaux pluviales suite à leur entraînement par ruissellement des eaux de pluie ou à des mésusages de toilettes de chasses d’eau. Or plusieurs études démontrent que des quantités faramineuses de déchets transitent dans les réseaux d’eaux usées, ajoutant des contraintes sur la gestion des mécanismes (ex : systèmes de relevage) et déversant en milieux naturels lors des montées en charge des réseaux durant les fortes pluies via les déversoirs d’orage.

Le fondement de cette exclusion serait que les déchets se trouvant dans les réseaux de traitement des eaux résiduaires urbaines, y compris ceux du ruissellement urbain, ressortent de la directive ERU. 

 

Plusieurs raisons nous semblent aller à l’encontre de cette position :

  1. Si la révision de la directive relative au traitement des eaux urbaines résiduaires (ERU), notamment à son article 9, prévoit bien un principe de REP, celui-ci n’est pas assimilable au principe de REP de la directive cadre déchets, qui est le cadre de référence de la directive SUP. En effet la DERU se limite au financement, dans les stations d’épuration, du traitement quaternaire des micropolluants issus de certains produits (produits pharmaceutiques et cosmétiques), et ne s’adresse pas aux déchets.
  2. Le principe pollueur payeur est la base des politiques publiques en matière d’environnement, et a été totalement intégré par la directive SUP. Or, en exemptant les producteurs soumis à la REP des coûts de nettoyage des déchets plastiques tels que mégots, lingettes et emballages plastiques dans les réseaux, il est dérogé au principe pollueur payeur. Et cette exemption a concrètement pour effet de réduire l’incitation à la prévention de l’abandon de ces déchets et à leur nettoiement avant qu’ils soient entraînés par les eaux de pluie.
  3. Les coûts à la charge des collectivités au niveau des réseaux sont particulièrement importants, or ils sont à ce stade explicitement exclus du projet de guidelines. Ceci constitue un obstacle pour les États membres qui souhaitent mettre en place une couverture de ces coûts par les producteurs. En effet, même si les guidelines ne sont pas contraignantes en tant que telles, dans la mesure où la Commission européenne a invité les États membres à s’assurer de la cohérence de leurs politiques nationales avec les guidelines, une exclusion explicite constitue un handicap majeur à sa mise en œuvre par un État Membre.

En conséquence, nous demandons à la commission européenne de modifier le projet en cours (§3.2 des guidelines), de façon à ce que les États membres qui le souhaitent puissent intégrer, dans le cadre de l’application du principe pollueur payeur de la directive SUP, les coûts de gestion (collecte, transport et de traitement) des déchets sauvages récupérés dans les réseaux unitaires ou les réseaux d’eaux pluviales (notamment dans les dégrilleurs, les pompes de relevage, etc.) suite à leur entraînement par ruissellement des eaux de pluie.

 

[1]Guest. (s. d.). Export of Plastic Debris by Rivers into the Sea. d.docksci.com.

[2] MacroPLAST - GIP Seine-Aval. (s. d.). GIP Seine-Aval. https://www.seine-aval.fr/projet/macroplast/

[3] ADEME (Stéphanie LORET), In Extenso Innovation Croissance (Véronique MONIER, Alice DEPROUW, Carla BASTIANUTTI), Take a waste, (Alexis LEMEILLET, Colombe RIBLIER) et Government Healthcare (Viktoria KLEISOVA). 2023. Étude de préfiguration de la filière REP appliquée aux textiles sanitaires à usage unique. 24 pages.

[4] La pollution plastique des océans va quadrupler d’ici à 2050 | WWWF France, (2022, 8 février). https://www.wwf.fr/vous-informer/actualites/la-pollution-plastique-des-oceans-va-quadrupler-dici-a-2050

[5] GIEC, 2019 : Résumé à l’intention des décideurs, Rapport spécial du GIEC sur l’océan et la cryosphère dans le contexte du changement climatique [sous la direction de H.-O. Pörtner, D.C. Roberts, V. Masson-Delmotte, P. Zhai, M. Tignor, E. Poloczanska, K. Mintenbeck, M. Nicolai, A. Okem, J. Petzold, B. Rama et N. M. Weyer], sous presse.

[6] Lutte contre la pollution plastique. (2023, 4 juillet). Ministère de la Transition Écologique et de la Cohésion des Territoires. https://www.ecologie.gouv.fr/lutte-contre-pollution-plastique

 

Premiers signataires

Isabelle Poitou, Directrice et Fondatrice Association MerTerre ; Johnny Gasperi, Directeur de recherche Laboratoire Eau et Environnement ; Romain Tramoy, Enseignant- Chercheur LEESU ; Muriel Papin, Déléguée Générale No Plastic In My Sea ; Sarah Chouraqui, Directrice Wings of the Ocean ; Cristina Barreau, Coordinatrice programme déchets aquatiques Surfrider Foundation ; Jérôme Bonche, Directeur Association Environat ; Jacques Dussol, Co-fondateur du RIEM ; Margaux Dauce, Responsable communication Another Way; Sarah Lelong, Fondatrice Consult'Ocean; Stéphane Robert, Cogérant de Rebooteille ; Anne Settimelli, Directrice et Fondatrice Explore & Preserve ; Philippe Leboube, Président Planète Actions ; Isabelle Dor, Secrétaire AESE ; Sandra Banctel, Co-fondatrice Association Bleu Gorgone ; Juliette Rigal, Responsable Collectif d'habitants des Goudes ; Nicolas Carlési, Directeur et Fondateur IADYS ; Chloé Theret, Directrice de L'Asso-Mer ; Matthias Commins, Président PropRéunion ; Bruno Dumontet, Directeur et Fondateur Expédition MED ; Sylvie Guerrier, Association SOS laisse de mer ; Stéphane Boudy, Président Association Protection des Océans ; Tom Flambeaux, Président Plombkemon Upcycle ; Eliseo Bastard, Président de EcoTerre Orvault ; Edmond Millet, Président ReSeaclons ; Lucas Lamote, Président Dunkerque Clean Up ; Cédric Larrodé, Directeur Chercheurs en herbe ; Camille Juillan, Directrice Eau Pop Pop ; Philippe Balch, Co-fondateur et dirigeant Watch the Sea ; Marie-Hélène Cocq, Gérante Sentinelles de Rivières ; Émilie Maisonnasse, Responsable de projet Montagne Zéro Mountain Riders; Yves Chardard, Président Subsea Tech; Philippe Mayol, Directeur Fondation Terre Solidaire ; Hadrien Aizpuru, Coordinateur Association EBG ; Claire Cariou, Coordinatrice Association Côte Waste ; Pierre-Ange Giudicelli, Co-fondateur et coordinateur Mare Vivu; Pascal Mounier, Directeur Général The SeaCleaners; Céline Albinet, Directrice Générale Clean My Calanques; Baptiste Mounier, Responsables des opérations Estran Cité de la Mer à Dieppe ; Jean-Paul Mosnier, Président Association MALINE ; Séverine Vasselin, Co-fondatrice Association Watertrek; Hélène Maingard, Chargée de mission Association Rézo zoizo; Alice Comble, Fondatrice GreenMinded; Jean-Paul Marx, Président Association SoS Pla'nette ; Maud Fourmanoit, Directrice des projets SCIC TEO ; Floris Cesano, Co- fondateur Mer Veille ; Delphine Basset, Présidente Les Insurgés des déchets ; L'équipe du REDESA (Réseau des Déchets Sauvages) ; Gaëlle Darmon, chercheuse-biologiste ; Cécile Bernardon, Présidente co-fondatrice Planète Perles; Laurent Colasse, Responsable fondateur SOS Mal de Seine ; Nicolas Imbert, Directeur GreenCross ; Delphine Moge, Chargée de mission Atelier Bleu - CPIE Côte Provençale ; René Heuzey, Président Un Océan De Vie ; Martina Schlüter, Présidente Watch the Sea ; Margaux Babola, Cheffe de projet Human InitiativeS for Animals – HISA ; Simon Bernard, CEO Plastic Odyssey ; Lilian Marchand, Responsable de projets environnement SUEZ le LyRE ; Patrick Deixonne, Fondateur Expedition 7° Continent ; Marie-Claude Langlois, Vice-Présidente Association Côte Fleurie Propre ; Jean-Bernard Boulinguez, Président La Tortue qui Secoue le Monde ; ; Murielle Oriol, Directrice Association SOS Grand Bleu ; Charles Boulland, Président de l'Union régionale des Centres Permanents d'Initiatives pour l'Environnement (CPIE) de Normandie ; Miki Nectoux, Milvi ; Dominique Leczinski, Président Association Ar Viltansoù ; Maxime Gratacos Président Le Plastique C'est Dramatique ; Gabriel Amard, Député du Rhône ; Alexandra Vergnes, Green Sailing Generation ; Frédéric Di Meglio, Président Fédération Française d’Études et de Sports Sous-Marins (FFESSM) ; Salomé Castillo, Présidente Ocean Science & Logistic (OSL) ; Éric Grimaldi, Coordinateur du pôle IESS Lieux Publics ; Laurent Colasse, Responsable SOS mal de Seine ; Damien Eloire, Co-Fondateur et Vice-Président NaturDive.

Structure liée

MerTerre